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Vivre en Haïti, Marie-Hélène témoigne

10 octobre

Un nouvel orage gronde sur Port au Prince. Est-ce le prochain cyclone ? La saison durera jusqu'à la fin de novembre et nul ne sait quels nouveaux désastres se préparent. A Port au Prince pas de traces des cyclones ; ils ont fait des dégâts dans le Sud et surtout dans la région de Gonaïves qui avait déjà été terriblement éprouvé par le cyclone Jeanne en septembre 2004 ; que voulez-vous, l'aide internationale très importante qui était arrivée alors a en partie disparue une fois encore et les travaux d'aménagement des bassins versants qui devaient être réalises n'ont pas été faits ; pas étonnant donc que les pays donateurs hésitent cette fois à envoyer encore des sous. Un exemple de l'impéritie du gouvernement ; il vient de distribuer une somme à chaque commune même à celles qui n'ont pas été touchées… sans aucune garantie de ce qui sera fait de l'argent !

Quoiqu'il en soit la vie continue ici, tant bien que mal, et comme les médias français vous l'ont dit, plutôt mal. Jamais au cours de mes précédents séjours, autant de gens ne m'avaient abordée pour quémander quelques sous et ce n'est pas seulement à cause des 4 cyclones qui se sont abattus sur le pays depuis 1 mois. L'augmentation des denrées de première nécessité ne cesse de croître depuis ces dernières années. (C'est la saison des avocats : en octobre 2007, je les payais 10 gourdes pièce au marché, soit 20cts €, aujourd'hui ils coûtent 50cts €, soit une augmentation de 115%, et il en est de même pour tout. Dans un restaurant ou j'avais mes habitudes je payais l'an dernier environ 4€ un plat de poulet, il a doublé aujourd'hui et les rations ont été réduites de moitié.

Il semble que le pays soit au bord d'une implosion de violence terrible, que les derniers cyclones ont d'ailleurs peut-être retardée.

Depuis mon arrivée ici je vis l'un des paradoxes même de Haïti ; je loge dans une immense demeure sur les hauteurs de l'agglomération : ici, on fait bombance tous les jours et les invités quotidiens de César, le maitre de maison, descendent des quantités phénoménales de vin argentin et de rhum en analysant a longueur de gorgées la situation économique du pays, les inconséquences du pouvoir, et l'occupation du Pays par les 9 500 casques bleus et les ONG étrangères. Qui leur dira qu'ils sont eux-mêmes les grands responsables de la situation : tout d'abord en louant à des prix prohibitifs les appartements dont ils sont propriétaires aux « étrangers qui les occupent » - de 500 à 1000$ un simple studio à Port au Prince selon le confort !!! J'ai parfois envie de leur dire qu'ils devraient nous payer pour être là et que si nous y sommes c'est pour faire le sale boulot qu'ils ne veulent pas faire. Lequel d'entre ces riches propriétaires penserait à nourrir ces populations misérables qui croupissent dans des cloaques infâmes au fond des ravines qui balafrent la ville ? Lequel songerait à améliorer la situation des écoles, dont la plupart sont dirigées par des illettrés qui créent une école pour faire un peu de sous. Les pauvres, 80% de la population tout de même, sont les parias, les intouchables, et il semble que les possédants espèrent tout simplement leur éradication totale. Ils dansent sur le volcan palabrant à n'en plus finir sur l'incompétence des dirigeants et l'intérêt des puissances étrangères à maintenir le pays dans l'état. Quant à savoir d'où leur vient leur propre fortune… mystère…

Les étudiants rencontrés lors de mes premiers séjours n'avaient jamais abordé ces sujets jusque là au cours de nos rencontres. Ils en parlent aujourd'hui, prônant une révolte, car ils ne pensent plus avoir d'autres moyens pour faire changer les choses. Et la plupart d'entre eux aiment profondément leur pays et croient encore à un avenir à condition de changer de gouvernement. J'ai été bien étonnée de les entendre dire leur regret de l'échec de Bertrand Aristide qui avait prôné un monde plus équitable, mais qui a eu le tort dans certains de ses discours d'engager ses auditeurs "d'En bas" à se servir chez ceux « d'En haut ». Les questions que je me posais il y a 3 ans sur le cas Aristide commencent à recevoir des réponses. Le prêtre président dont l'avènement en février 1991 avait tellement levé d'espoirs ici ignorait tout des arcanes pourris de la politique et ne savait pas qu'une élection démocratique ne suffit pas à faire de vous un homme d'Etat. En 1991, un nouveau pays de tendance marxiste, si près de Cuba et alors que fonctionnaient si bien les dictatures militaires sur toute l'Amérique du Sud, n'était pas acceptable par les puissances dirigeantes du Monde. Victime de manipulations terribles, de mensonges, accusé de crimes abominables que ses ennemis pratiquaient, "ON" ne l'a pas tué pour ne pas en faire un martyr, "On" a fait bien pire ; on a tué son honneur et fait de lui un traitre et un bandit. Aujourd'hui que la carte géopolitique a été bouleversée, il aurait sa place et des alliés, il est venu simplement 15 ans trop tôt et les Haïtiens en payent lourdement le prix. Le pays est mûr aujourd'hui pour une nouvelle dictature.

L'électricité est de plus en plus rare, nous avons un accumulateur ici mais il ne peut se recharger que lorsque l'EDH (= EDF) fonctionne et ces heures-là, généralement après minuit, sont de plus en plus courtes. Les habitants qui pour la plupart ne possèdent pas d'accumulateur n'ont pu en profiter depuis des semaines.


18 octobre

Je suis ici depuis 4 semaines déjà et n'ai pas eu le temps de voir passer les jours, entre la recherche de nouvelles toiles, des sculptures de fer, l'organisation de la cantine et mon travail de conseiller pédagogique à l'école, il me reste bien peu de temps.

J'ai résolu mon problème d'hébergement et suis en pension chez un commissaire de police, extrêmement accueillant qui, dans une grande maison, a mis à ma disposition, une grande chambre, une salle de bains avec – oh ! Quel luxe ! – de l'eau chaude, de l'électricité, l'accès illimité à internet par Wifi et par-dessus le marché une gentillesse extrême. Je n'ai plus non plus de problème d'intendance ; matin et soir je partage les repas de la famille, souvent préparés par César, le maitre de maison et mon linge est lavé par la petite servante, mieux qu'à la maison, je vous dis !!! Si vous saviez comme j'apprécie quand je rentre de l'école en fin d'après midi, un peu vannée tout de même par mon heure de trajet dans des camionnettes brinquebalantes, assise sur de simples planches de bois, les petites délicatesses dont je fais l'objet : un bouquet de roses sur ma table, chipées chez la voisine consentante , un bon verre de vin argentin ou un petit punch, une vraie vie de princesse.

Pour la journée c'est autre chose : l'école est donc située à 1 heure d'ici et je dois quitter la maison à 6h45 car l'école commence en principe à 8h, je dis en principe car le premier jour les instituteurs sont arrivés tranquillement à 8h30… difficile de demander la ponctualité à des gens qui ne sont pas payés, 80% des écoles en Haïti sont privées donc payantes, et à Foi d'Abraham les enfants sont tellement pauvres que les familles ne peuvent acquitter le simple € demandé à l'inscription et 1,5€ chaque mois de frais de scolarité. Impossible d'obtenir une aide de l'UNICEF qui ne finance pas les écoles privées, sans doute avec raison car le niveau d'enseignement est si bas que certains élèves après 6 années d'école savent tout juste écrire leur nom… L'autre jour j'ai assisté à un cours qui a duré toute la matinée, soit 3h30 - et les élèves ont fait 3 multiplications… le reste du temps l'instit a lu le bouquin de math et donné des explications aussi vaseuses qu'inutiles… et pourtant il m'a dit qu'il avait la passion de l'enseignement !!!

Pourtant je ne désespère pas de faire monter le niveau de cette petite école car les 5 instis sont vraiment pleins de bonne volonté et ne demandent qu'à apprendre, et leur niveau est si bas que je leur serais certainement utile, mais tout est à faire : ils n'ont aucune idée de la psychologie de l'enfant et le fouet tressé en nerfs de bœuf est un moyen de pression terrible, on est loin de la pédagogie de l'encouragement et ils ne font que reproduire ce qu'eux-mêmes ont subi. Il n'est pas rare en effet que même en terminale les élèves de 20 ans acceptent d'être fouettés dans le bureau du directeur. Pour une leçon mal sue ou un devoir mal fait.

La petite collation du matin que Soleil d'Haïti donne aux 80 enfants est pour la plupart le seul repas de la journée ; nous ne sommes pas encore assez riches pour assurer un repas chaud et les locaux ne permettent pas l'installation d'une cuisine. Je vis des scènes terribles ; l'autre jour un petit bout de chou de 5 ans a perdu connaissance juste avant la collation, malaise dû sans doute à une hypoglycémie, elle n'avait rien mangé depuis le matin précédent : quand elle a été remise je suis allée lui donner ses 2 petits pains beurres et son quart de lait frais, elle a mangé un petit pain et rangé le second dans son cartable, puis est allée chercher un des deux petits pains de sa petite sœur qu'elle a rangés aussi dans son sac. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m'a dit "c'est pour maman". Difficile à supporter. La maman, sans aucune ressource bien sûr, a deux enfants, pas de papa bien sûr, elle en aura d'autres car pour un ou deux $ elle se prostituera pour nourrir ses petites filles… et sans doute que celles-ci seront obligées de faire la même chose dans une dizaine d'années. Parfois cela donne envie de hurler devant tant d'injustice. Combien de temps encore supporterons-nous qu'un enfant de moins de 10 ans meure de malnutrition ou de pas de nutrition du tout toutes les 5 secondes… Les Etats courent au secours de nos avoirs boursiers, il en faudrait beaucoup moins pour vaincre définitivement la faim sur toute la planète. (Voir article du Monde du 16 /10/08)

Mais je vis aussi des petites aventures rigolotes : je remontais à la maison l'autre jour , un peu énervée par ma journée et par l'heure dans les camionnettes inconfortables que je venais de passer ; agacée d'être dévisagée par un beau jeune homme, sur le bord du chemin, je lui ai demande, un peu agressive, s'il avait quelque chose à me dire "oui, que je vous trouve tellement jolie" !!! Et bien vous n'allez pas me croire mais en éclatant de rire ma fatigue s'est dissipée… Personne ne me dit jamais de chose pareille à Lorient !!! Vous voyez ça vaut tout de même la peine de venir passer l'hiver en Haïti…

J'espère que vous vous portez tous bien et profiter de l'été qui est, m'a-t-on dit, arrivé en Bretagne ces dernières semaines... Je vous envoie plein de soleil, de chaleur et de joie.


Marie-Hélène